Souvenirs de là-bas, 2002, extraits

Scène 2

Tandis que la lumière s’éteint dans la  cellule, sur la gauche de la scène, Isabelle Benhameur se redresse progressivement. Elle sort à peine de la pénombre. Non loin d’elle un homme, tout de noir vêtu, est assis, qui la regarde.

Maman bonjour,

Je devrais dire plus tôt : « Bonne nuit » car tout est noir et silencieux autour de moi, enfin pas tout à fait, car il y a le bruit de l’autoroute et, parfois, un train qui passe. Mais je n’ai plus l’heure depuis un moment et je ne sais même pas quel jour nous sommes. Enfin, bref, je pense à toi et je pleure. Je n’aime pas te faire de peine, mais cette fois-ci, c’est trop dur. Je ne me rappelle pas d’avoir tant souffert.
Il y a une odeur de brûlé qui imprègne tout autour de moi et la gorge me pique. Mais ce n’est pas la peine que je t’ennuie avec ça !
Tu sais, Stéphane, le copain dont je t’ai parlé, il m’a écrit. Il va sortir bientôt. Il faut d’abord qu’il fasse une post-cure, mais il a fait des études. Il peut avoir une bonne situation. La nouvelle, c’est qu’il veut bien qu’on vive ensemble. Je suis sûre qu’on sera très heureux. Surtout qu’il est bien maintenant avec son traitement de substitution. Avec lui je peux y arriver. Enfin, si je sors d’ici !
C’est vrai qu’il n’est pas mal, mais surtout il est très gentil. Il a souffert quand il était jeune, alors il arrive à me comprendre. D’après ce qu’il me dit, il n’a jamais pu trouver sa place dans sa famille car il ne s’entendait pas avec ses parents. Mais je crois vraiment qu’il peut m’aider. On prendra un appartement ensemble ou peut-être une maison  ( j’aimerais mieux, mais c’est cher ). On fera des enfants…et on les protégera de la merde où je suis.
Ne dis surtout pas ce qui m’arrive à papa. Il va encore se fâcher. Je sais que c’est pour mon bien, mais je ne le supporte pas. J’angoisse…tu ne peux pas savoir…Demain, c’est si loin…
Depuis hier, je suis au mitard. Même le directeur est venu. J’ai eu beau pleurer, il n’a rien voulu savoir.
Vanessa s’était encore coupée. Elle voulait que j’appelle la surveillante. Je l’ai fait, mais elle ne venait pas. Pourtant on faisait assez de bruit ! Alors j’ai crié que Vanessa saignait. A travers la porte, la surveillante nous a dit de nous calmer, que le gradé ne viendrait pas comme ça.
Finalement, il est venu quand même. Il a ouvert la porte pour regarder ce qu’avait Vanessa. Il a refermé, puis il a dit qu’il allait voir. Il ne voulait pas appeler le docteur. Alors Vanessa s’est mise à hurler. Ils ont dit qu’on les avait insultés. Mais le gradé, lui, nous a traitées de folles ! Alors j’ai flashé. J’ai repensé à Kamel, comment il est mort…et je me suis mise à hurler aussi.
Le docteur a fini par venir quand même. Il a soigné Vanessa pour sa coupure, mais il ne voulait pas changer son traitement.
Ils l’ont remise de force dans la cellule mais Vanessa criait. Elle disait qu’elle angoissait, qu’elle ne pouvait pas dormir. Au bout d’un moment elle n’en pouvait plus. Alors elle a mis le feu à son matelas. Ça  dégage une fumée atroce qui brûle la gorge et pique les yeux. On pouvait à peine respirer. Un moment j’ai cru qu’on allait y rester. Mais ils nous ont sorties de la cellule et ils ont branché la lance à incendie. Inutile de te dire qu’ils n’étaient pas contents. C’est vrai aussi que j’ai poussé le gradé. J’aurais pas dû, mais je trouvais tout ça trop injuste.
Je me suis trouvée au mitard, mais j’étais tellement angoissée que je me suis accrochée deux fois…
Voilà, j’ai fini ma lettre. Il fait jour. J’ai fini par dormir et je vais un peu mieux, même si je suis encore dans le gaz. Surtout, ne t’inquiète pas ! Je vais m’en sortir.
Tu sais, j’ai failli déchirer ce courrier. Mais c’est peut-être mieux que tu saches pourquoi je ne serai pas au parloir samedi. Surtout ne t’inquiète pas ! Je vais aller mieux.
                                        Isa.

    

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